Réinventer notre industrie : Le rôle essentiel des achats
Le Club Rodin, Écrit par Gérard Cappelli. Préface de Jean-Claude Volot, Médiateur national interentreprises…
Depuis la fin des Trente Glorieuses, l’économie des pays occidentaux s’essouffle. La crise de 2008 a exacerbé la situation, notamment dans l’industrie, qui a perdu des millions d’emplois en vingt-cinq ans. Mondialisation, financiarisation, délocalisations ne sont pas les seules causes de ces phénomènes. Ainsi, l’analyse de la situation allemande interpelle : balance commerciale largement bénéficiaire, part de l’industrie dans le PIB… Une meilleure qualité relationnelle au sein des écosystèmes d’entreprises ne serait-elle pas un facteur de meilleure compétitivité mondiale ? C’est la conviction de Michael Porter, qui prône le concept de valeur partagée, d’autant plus pertinent que les grandes entreprises consacrent 60 à 80 % de leur chiffre d’affaires aux achats. À l’instar de l’expert de Harvard, et du chercheur John W. Henke (cité par le Médiateur national interentreprises, Jean-Claude Volot), notre think tank, le Club Rodin, prône une démarche positive d’« achats responsables » fondée sur des relations mutuellement bénéfiques entre grands groupes et PME.
Le concept d’« ère postindustrielle » s’est avéré utopique, au sens où les emplois de services ne se sont pas totalement substitués aux emplois industriels, ni en quantité ni en qualité. Et dans une démarche d’externalisation de plus en plus financière et axée sur le court terme, les acheteurs des grandes entreprises ont été sensibles aux offres des pays low cost.
En France, les achats des grands groupes du CAC 40, de plus en plus professionnalisés, constituent la grande majorité du volume des transactions nationales. Globalement, vues par les experts de la Médiation, de l’ObsAR ou de Pacte PME, les pratiques se sont améliorées depuis le cost killing des années 1990, mais ne s’inscrivent toujours pas dans un registre « gagnant-gagnant ». Le Médiateur national explique le rapport de force par le poids des grandes entreprises, spécifique à la structure entrepreneuriale française.
Les « achats responsables », préconisation du Club Rodin, sont fondés sur le principe de la valeur globale. D’une part, le calcul TCO de la valeur d’un produit ou service doit inclure l’ensemble des éléments qui le constituent, opérationnels (qualité-coût direct-délai) et sociétaux (incluant le social et l’environnemental). D’autre part, la qualité de la relation client-fournisseur a également une valeur à moyen et long termes. Les écosystèmes (clusters, ou simplement « entreprises élargies ») sont des preuves tangibles d’efficacité synergétique.
L’élan sociétal, malgré les tergiversations internationales en matière climatique, est patent. Le concept de RSE (responsabilité sociétale des entreprises), porté par les initiatives des années 1990 (Pacte mondial, OCDE, OIT, GRI…), est catalysé par le cadre européen et, en France, par le Grenelle 2, qui va élargir la portée des lois NRE de 2001-2003. Les politiques de RSE des grands groupes, qui concrétisent leur contribution au développement durable, se développent et intègrent progressivement des démarches d’achats responsables. La première norme de responsabilité sociétale des organisations (ISO 26000) se diffuse dans la centaine de pays qui y ont contribué.
Ce cadre global devrait permettre d’infléchir la tendance des trois dernières décennies, et aboutir à un système économique moins focalisé sur le rendement à court terme. Le Club Rodin croit à cet élan de progrès, à condition que toutes les parties prenantes y contribuent. Pour les grandes entreprises, c’est un changement de paradigme – une « révolution culturelle » selon le Médiateur – qui consiste à instaurer progressivement une relation de confiance avec leurs fournisseurs et promouvoir une démarche de filière. Pour les PME, c’est d’un progrès stratégique et managérial dont il s’agit, dans l’optique d’une meilleure pérennité. D’autres acteurs seront impliqués, notamment les consommateurs, par un regard plus attentif aux comportements sociétaux des entreprises.
En conclusion, les trois principales préconisations du Club Rodin sont les suivantes :
1) Promouvoir le concept de « valeur globale », et enrayer l’appétence du gain direct à court terme.
2) Définir une vision politique à long terme, conjuguant celle des acteurs économiques (grandes entreprises et PME) et de l’État.
3) Contribuer progressivement à un nouvel équilibre socio-économique, par le développement de PME-ETI au sein d’écosystèmes compétitifs portés par les groupes leaders.
En toile de fond des réflexions du Club Rodin apparaît le thème de l’entreprise, au sens du Projet, des Valeurs et de la contribution sociétale…